Saturday, November 14, 2020

Traction-brabant 81

Si mon poème est un loisir, il me vient illico presto quand je laisse mes pensées vagabonder. Je n’ai pas besoin de faire des efforts. Je regarde ce qu’il y a autour de moi : plein de choses stupides. À chaque fois, les pattes de mouche de la réalité l’emportent. Ou bien je me laisse transbahuter par mes rêves, mâtinés de réel. Et mon poème, s’il pousse de travers, je ne lui coupe pas les tifs. Il grandit comme il a envie, il peut se cogner aux murs, en sortir un peu amoché, et finalement, tourner court au bout de cinq minutes. Conglomérat de déjections de mon esprit vacant, tonneau des Danaïdes à remplir continuellement, il m’aura au moins permis d’occuper dix minutes. J’ai envie d’en envoyer une brassée de pareils à Malta. Il en fera ce qu’il voudra. Au pire, il les jettera à la poubelle sans fond des textes non publiés.

Si mon poème est un métier, j'ai avant tout besoin d’un patron pour l’écrire. Entendez par là une forme obligatoire. Sans patron, pas de sujet. Quant à ce dernier, il sera rendu inoffensif par mon patron. À la limite, il vaut mieux qu’il le soit. Et pas question de changer de forme. En effet, contrairement aux rêveurs, je regarde toujours pousser mon poème. Je le surveille tandis qu’il tente de s’élever dans des limites restreintes, celles que je lui ai fixées. Et je n’écris pas un seul poème, mais une série de textes construits sur un patron identique. Le but est d’écrire le recueil le plus uniforme possible. Mon poème, je veux qu’il ait la boule à zéro. Quand on ouvre un de mes livres, il faut que toutes les pages se ressemblent, afin que le lecteur ne soit pas perdu. Mon poème, c’est le petit soldat d’une grande armée personnelle. Bien entendu, je refuse de l’envoyer à Malta qui ne publie que des ramassis d’humeurs. Moi, j’exige un véritable éditeur, qui m’obéisse au doigt et à l’œil. Car en réalité, je suis ma propre forme.

Si mon poème est une passion, il a une tête et un cœur. Il n’est pas directement inspiré par l’extérieur, il n’obéit pas non plus à un plan précis. Il doit me permettre de résoudre une difficulté, même passagère, même symbolique. Illusion ? Tant pis, je l’écris malgré tout, pour le plaisir du voyage intérieur. D’ailleurs, il n’est pas tout seul, sans être pour autant indifférencié. Il suit sa propre logique et se fout de ce qu’il y a autour. Il ne veut pas toujours être montré. C’est ce que ce poème irradie en moi qui compte. À la limite, je l’enverrai peut-être à Malta, s’il est sympa, ou je ne lui enverrai pas. L’essentiel, c’est qu’il soit écrit. Et qu’il me fasse vivre un peu différemment, dans le monde réel, celui qu’il me faut subir chaque jour. Lorsqu’il s’agit de mettre du beurre dans les épinards. Et basta.

P.M.

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