Saturday, February 20, 2010

De Pierre Vella (extrait de T-B 49)

Le jeune homme trop maigre pour être affamé s’approcha brusquement d’un gros commanditaire sortant de la halle et lui braqua un pistolet sur le cœur.

« Le portefeuille ! » lui cria-t-il dans sa bonne oreille.

Le gros commanditaire frissonna, sortit son portefeuille très lentement et gémit : « Mais pourquoi moi ! Pourquoi subitement moi ? ! Il y a d’autres profiteurs sur la place, d’autres usuriers, d’autres filous bien plus retors que moi ? ! »

Le jeune homme appuya un peu plus son arme contre la poitrine du corpulent vieil homme : « Parce que je vous avais repéré de loin, sachant à votre mine que vous seriez faible et trouillard comme un enfant ! Sans résistance ! Allez, sortez ce portefeuille de votre poche ! »

Le gros commanditaire s’exécuta enfin en tremblant. Le jeune homme sortit alors une grosse liasse de billets épaisse comme un dictionnaire de sa veste et la fourra de force dans le portefeuille déjà bien garni du bonhomme suppliant.

« Non non ! Pas d’argent ! PLUS d’argent ! Pourquoi moi ! Non, non, arrêtez, c’est trop, je n’en puis plus ! » Une commère qui passait par là regarda le jeune homme en souriant, voyant bien qu’il importunait un notable.

« C’est bien fait pour lui – dit-elle en levant les bras devant la sorte de fatalité qui l’avait fait choisir cette victime – c’est bien fait pour lui. Il l’avait bien cherché. L’argent va à l’argent, que peut-on ? »

Le gros commanditaire rentra chez lui plus tôt que de coutume, les poches pleines de billets, pâle et accablé. Il allait devoir dire à sa femme (qui plus il était riche, plus elle était acariâtre) qu’on lui avait encore donné de l’argent dans la rue ! Décidément, la sécurité de la ville laissait à désirer. Ce n’était plus une vie si l’on recevait de l’argent à tous les coins de rue. Et les conséquences !

Le niveau de vie qui monte, les frais obligés que cela entraîne, les œuvres caritatives à l’affût, les aides à la famille, les quémandeurs.

La femme du commanditaire lorsqu’elle le vit comprit tout de suite à sa mine :

« Si c’est pas malheureux de voir ça ! » Elle haussa les épaules sans commisération pour son mari qui soupirait et tremblait encore en enlevant sa veste et en desserrant sa cravate.

2011

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