Effet de manche
Il se mit à marcher lentement sur le trottoir
sale en évitant les poubelles qui débordaient. Il espérait que le brouillard
qui tardait à disparaître continuerait à l’estomper encore un moment de la
froide réalité. Les premières voitures du matin et les dernières de la nuit
passaient côte à côte dans leurs halos de lumière humide.
Il remonta
machinalement le col de fourrure synthétique sur sa barbe poivre et sel. La journée
serait froide, machinalement froide. Le froid ne le dérangeait pas. Plus. La
pluie oui. Mais il n’y aurait pas de pluie aujourd’hui.
C’était son premier
jour à cet endroit. Il voulait que tout se passe bien. Il enfonça le bonnet
jaune machinalement sur ses cheveux gris gras. La journée serait longue.
Machinalement longue. L’espoir ou l’ennui compteraient les heures. Il verrait
bien.
Il avait agi comme il
l’avait toujours fait. Les jours précédents il avait fait des repérages. Le
choix lui semblait bon. L’endroit lui paraissait très convenable. Il y avait
beaucoup de passage et aucun de ses confrères n’avait eu l’idée de se
l’approprier. Il avait toujours eu le sens de l’organisation. Tout se passerait bien. Mais plus il
avançait plus la marche se faisait lente.
Il dit bonjour à un
confrère assis sur un banc. Il aurait eu envie de s’arrêter. De s’asseoir. De
parler. Mais pour dire quoi ? Les paroles étaient comme le reste, rares.
Lui, de toute façon, il les économisait pour plus tard.
Voilà, le brouillard était dissipé, un rayon
de soleil éclairait même l’endroit exact, comme un signe. Il commença sa
plaidoirie. C’est comme ça qu’il faisait la manche. Il avait été rayé du
barreau, abrité derrière des barreaux, et maintenant il plaidait pour des badauds.
Qui aimaient ça. Il se souvenait, ou il inventait. Peu importait. Ça sentait le
crime, les magouilles, le scandale, oui, ils aimaient ça. Parfois un
attroupement se formait. Quand l’occasion se présentait il s’amusait même à
constituer un jury. Des retraités, qui avaient le temps d’écouter jusqu’au
bout. Et là, il leur racontait sa propre histoire.
Ils l’acquittaient à
tous les coups. Eux.
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