Thursday, April 08, 2021

Incipits finissants (57)


Bon, on va pas y aller par quatre chemins. Pour écrire, et qui plus est, pour écrire de la poésie, faut pas être très normal. Je regrette. Faut même être plutôt dérangé du ciboulot. Quelqu’un de normal, c’est quelqu’un qui perd pas son temps à réfléchir en écrivant, ou qui réfléchit pour gagner plus d’argent et de puissance, ce qui revient pareil que de pas réfléchir.
Donc, partant d’un constat aussi bête que réaliste, et dans un ultime souci d’optimisation économique, le pouvoir politique interna les individus ayant publié un livre, ou tenu un blog littéraire, ou dont il fut prouvé, par tous moyens, qu’ils avaient déjà écrit quelque chose, y compris de nul. Leur furent adjoints d’autres handicapés, dont on occupait le temps en les poussant à écrire.
Cela fit beaucoup de monde à enfermer à l’asile, mais pas tant que ça, finalement.
D’ailleurs, une telle initiative eut pour effet de clarifier la situation. Les scribouillards n’étaient plus obligés de se cacher de leurs proches pour se livrer à leur manie. Ainsi, les familles vaquèrent à leurs occupations de gens normaux, remplies de valeur ajoutée, sans être ennuyées à longueur de journée par ces enculeurs de mouches. Et bien des frictions sociales furent évitées. De leur côté, les poètes étaient aussi contents. N’ayant que peu de besoins à satisfaire, ils étaient heureux de tout le temps noircir du papier ou de remplir des fichiers textes. Et parfois même, ces fous parvenaient à se supporter entre eux.
Hormis le personnel médical qui s’occupait de sa clientèle, des scientifiques passaient de temps à autre pour étudier le cerveau si étrange des écrivants.
Cette nouvelle organisation sociale fonctionna durant deux siècles à peu près, tant que les frontières entre mondes restèrent étanches.
Mais à l’extérieur, il y a avait de plus en plus de gens qui n’arrivaient plus à gagner assez d’argent. Et à l’intérieur, il y a avait de plus en plus de poètes conquérants, les plus réveillés de la bande, qui revendiquaient leur liberté.
Les uns cherchaient à rentrer quand les autres cherchaient à sortir.
Si bien qu’un jour, les murs de l’asile volèrent en éclats et que les poètes et autres genres d’écrivains furent rejetés dans le marécage d’un monde normal avec des gens tristement rusés. Et plus personne ne sut de nouveau où résidait la force.
P.M.

1 comment:

Laurent Deheppe said...

Il y a même des poètes rusés qui décident un beau jour de ne plus écrire, se contentant d'ouvrir des portes avec les yeux (.)

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