Thursday, November 03, 2005

D'Angélique Condominas (extrait de T-B 60)

Leçon de choses

C’est ici que commence le règne des objets.

Les savates déambulent et se planquent sous le lit. Pied droit déclare guerre d’indépendance à Pied gauche. La tasse se déverse sur le sol, et la bouteille jaillit pour dessiner des arabesques de sirop de cassis sur le lino. Joli. Glissant. Les ciseaux mordent le dentifrice. Collant. Les poignées reculent infiniment, il y a un labyrinthe entre chaque porte, et régulièrement, l’ascenseur passe du nord au sud. Poire à sonnette se cache dans un arbre, hors d’atteinte. On ne peut plus l’attraper sans escabeau. C’est bien gênant car les nuits sont longues, et le lit se replie dans les plis de la couverture lorsqu’on a besoin de lui. L’étui des lunettes de soleil est sur la plage des chevaux de bois, on pourra toujours les mettre pour éteindre les néons en attendant le jour vrai. Le jour où on pourra enfin dormir dans les bras de Fauteuil.

Les dents sortent de la bouche et grignotent la faïence. En temps de grève, elles se cachent entre la colle et l’affiche.

La nuit, un petit bout de chaque personne sort de son enveloppe et joue à cache-tampon.

Si les cuillers disparaissent dans la poche du personnel, on mangera des entremets au chausse-pied.

Heureusement que la vie nous a appris la guerre. On ne s’inclinera pas au jour du couronnement des choses.
On subira en silence, dans une muette réprobation, en profitant de chaque occasion pour donner du fil à retordre à l’envahisseur.
On organisera la résistance.
Et à tous ceux qui demanderont si la nuit a été bonne, on répondra :
« Faut pas se plaindre, ma foi. »
Mieux vaut savoir faire discrétion sur ses activités clandestines.

Extraits de "L'embarquée".

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