Friday, December 23, 2022

Incipits finissants (101)

Rien de neuf sous le soleil. J’ai lu récemment que des poètes voulaient vendre leurs textes. Je m’en félicite. Ça doit signifier qu’ils sont prêts à acheter les œuvres de leurs confrères, qui, eux aussi, souhaitent monétiser leur production, ce qui tombe bien, puisque ces derniers constituent le gros du peloton de leur lectorat.

Ainsi, de la vente à l’achat, je tiens mon incipit finissant : à peine parvenu en fin de circuit, il me faut repartir au début, n’en déplaise à ces quelques hauteurs revendicatifs, dont les propos me laissent craindre, hélas, qu’ils se croient seuls au monde, comme à leur habitude.

Mais rompons avec ces considérations trop réalistes et laissons-nous emporter par le rêve.

Il était un Prince, à l’esprit fortement dérangé, mais qui avait beaucoup d’argent et dont la meilleure lubie consista à acheter toutes les poésies.

C’était un collectionneur, pas un lecteur. Il aimait les livres en tant qu’objets indéchiffrables. D’où son dévolu jeté sur les recueils de poèmes. Alors qu’il aurait pu garder son gigantesque butin pour lui, notre prince voulut que le public l’aperçoive de derrière une vitre…

Au passage, le Prince n’aspirait pas à revendre sa collection, se fichant de toute marge, car il était la marge parfaite qui n’a plus besoin qu’on lui dise qu’elle était dans la marge.

Personne n’a jamais su si tous les poèmes trônaient dans cet énorme centre commercial sans clients. Qu’importe : malgré leurs dimensions réduites, ils prenaient déjà beaucoup de place.

De toute façon, le Prince ne s’effarouchait pas plus que ça de l’absence de visiteurs dans son espace, qu’il avait qualifié de commercial par ironie.

Un jour, cependant, il lut une page de de l’une de ces œuvres, qu’il trouva magnifique et plaça sur un présentoir, au centre du centre. Hélas, les mots ne se détachaient pas assez du reste. Le maître des lieux exporta donc ces quelques vers dans un fichier afin de les projeter sur grand écran. À chaque pièce sa télé et son poème. Le Prince n’avait plus qu’à faire tourner les volumes multicolores. Malgré tout, ces scènes simultanées manquaient encore de vie. Alors, le Prince enregistra des fragments de textes qu’il diffusa dans des enceintes.

Peu importe que les sons produits par les mots étaient recouverts les uns par les autres. Désormais, le tableau était complet. La poésie avait trouvé son serviteur exclusif.  

P.M.

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