Sunday, May 28, 2023

Traction-brabant 103

Je comprends pas les poètes qui se plaignent qu’on ne sait pas qu’ils existent et puis, partant de là, qu’on n’achète pas assez leurs œuvres.

Pas moi, au contraire ! Qu’est-ce que je suis content depuis que j’ai intégré ce créneau ! C’est merveilleux, ça n’intéresse personne autour de moi ! Du coup, quelle tranquillité ! Pas de concurrence immédiate. Et aucune obligation de résultat. Je peux écrire un poème foireux : personne pour s’en rendre compte. C’est même beaucoup mieux que de pondre des textes géniaux que nul ne lira ! Une telle perspective me rendrait malade !

D’ailleurs, si j’arrête la poésie du jour au lendemain, eh bien… j’arrête la poésie du jour au lendemain. Mon éditeur ne me menace de rien. Et lorsque je publie un livre, c’est à peu de choses près pareil. Trente-cinq ans que ça dure !

Tandis que si je m’étais lancé dans l’immobilier, la bagnole, le bricolage ou la cuisine, je n’aurais pas pu mettre le nez dehors sans qu’on me pose une tonne de questions. Grâce à mes poèmes, je suis parfaitement peinard. Merci à eux !

Pire encore : si j’étais devenu un pro du football ou du cinéma, je vous dis pas la pression subie. J’aurais été obligé de surveiller la moindre de mes déclarations publiques. Psychologiquement, il faut bien l’avouer, je n’aurais pu gérer le succès. Trop fragile ! Tandis que là, rien à déclarer. Qu’est-ce que c’est cool ! Exactement ce qu’il me fallait !

Je comprends pas les poètes. Ils souhaitent qu’on leur fiche la paix et en même temps, ils adoreraient qu’on les aime. Mais faudrait voir à choisir entre ces deux incompatibilités. Ou alors, c’est comme vouloir le beurre, l’argent du beurre et la crémière par-dessus le marché !

Allez poètes ! Mesurez plutôt votre chance à la quantité d’emmerdements auxquels vous échappez ! La poésie, voilà le meilleur choix de toute une vie pour qui veut passer sous les radars.

Et mon petit nez me dit que ça ne changera pas de sitôt. Même si la révolution débarque : on n’aura plus besoin de nous, les poètes !

Nous sommes hyper-protégés par l’indifférence, alors de quoi se plaint-on ? Cette forme de liberté est la seule à perdurer dans notre société.      

P.M.                                                  

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