Mon vieil Alphonse tourne mal. Bon, c’est
vrai, je fréquente le bistrot moi aussi, mais Alphonse au bar carrément pendant
les pauses. Ça se lit sur sa tronche, à dominante rouge violacée. D’ailleurs,
la tenue toute entière du personnage est négligée : jambières sales,
hirsute plus que barbu. Et puis, il a le regard d’un chien battu. Déjà
qu’avant, ce vieux garçon fonctionnaire n’était pas très épanoui, là, c’est le
pompon ! Alors qu’il vient de décoller du comptoir en baskets à trous, je
décide d’entreprendre la serveuse à son sujet.
« Vous ne trouvez pas
qu’Alphonse file un mauvais coton ? Si je ne le connaissais pas d’avant,
je penserais qu’il a combattu au Vietnam, tellement sa carcasse tremble par
à-coups…
- M’en parlez pas !
C’est sa passion pour l’écriture qui l’a mis dans cet état.
- Ah bon, ça m’étonne un
peu, pourtant… »
Je le savais épris de
poésie, noircissant du papier à ses heures perdues, mais pour moi, c’était
juste une manie, semblable à celle qui consistait à collectionner des animaux
empaillés.
« Figurez-vous que le
pauvre hère a bénéficié d’une résidence d’auteur pendant six mois.
- Ah bon, j’ignorais que
c’était si dangereux, une résidence d’auteur… De quoi s’agit-il, d’abord ?
- En fait, du paradis sur
terre. Durant la moitié d’une année, votre ami a été logé nourri blanchi et a
même reçu un petit pécule pour écrire…
- Sans blagues !?…
- Comme je vous le dis,
sauf que la guerre est arrivée après. Quand Alphonse a été rendu à la vie
civile, ça l’a détruit. Le vrai coup de massue. Effet pressurisation garanti,
qu’il m’a raconté entre deux pleurs d’alcool. Imaginez plutôt ! Renouer
avec ce couloir le ramenant au bureau. Pointer par obligation ! Subir les
rappels à l’ordre mensuels de sa chef de service commentant des stats
désastreuses. Ne pas pouvoir se boucher les oreilles quand ses collègues
délayent leurs espoirs de promotions sur place !…
- Ah bon sang ! Je
comprends mieux désormais. Il aurait dû attendre la retraite afin de connaître
le nirvana !
- Mon dieu, hélas, oui. C’était la voie de la sagesse !
- Mon dieu, hélas, oui. C’était la voie de la sagesse !
P.M.
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