Thursday, April 23, 2020

Incipits finissants (12)


Cette nuit, je me suis relevé. Il n’était pas possible que la ville brûlât après la banlieue. Et pourtant, il fallait entendre les actualités. On m’avait prévenu sur mon portable. Trois jours que les sarrasins nous menaçaient. Ils avaient juré de nettoyer la ville de ses autos. Ce quartier en particulier. Le feu progressait bien dans les rues. Je ne pouvais pas admettre que ma voiture, par le hasard des circonstances, dût être incendiée. Trois nuits que je la déplaçais. Quant aux policiers, certains avaient déjà brûlé en patrouille.
J’étais la seule personne honnête à m’aventurer dans les parages à cette heure de la nuit. J’avais déjà fait ça. Une fois que j’étais dans mon auto, j’en verrouillais les portières avant de circuler à toute vitesse dès qu’un couloir de circulation était dégagé.
Ce soir hélas, les gars étaient là. Ma voiture trônait en bout de file. Ils semaient le feu comme on sème la future récolte, avec le balancement des explosions au bout des doigts.
Il y avait sûrement moyen de pactiser. J’empruntai une rue parallèle pour arriver jusqu’à eux. Je n’avais rien contre ces manifestations d’existence mais je tenais à mon véhicule de puissance neuf chevaux fiscaux avec ABS et brumisateur de testostérone.
Je les attendais de pied ferme avec un drapeau blanc. Quand la petite bande se pointa, ils n’étaient que trois. Les sirènes de police brûlaient à l’horizon derrière un mur de feu.
Je leur exposai ma requête. Ils me sourirent en changeant de trottoir, achevant l’autre côté au lance-flammes et à l’instant de quitter la rue ils lâchèrent par derrière un cocktail sur mon auto. Je sautai sur le trottoir avec le drapeau en friches.
Quand la rue fut dégagée de ses cadavres, on mit là plusieurs dizaines de parterres de fleurs et il fallut encore slalomer pour aller au boulot tous les matins. Drôle de monde je vous dis.
P.M.

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