Wednesday, February 27, 2008

De Bastien Mouchet (extrait de T-B 36)

Il y a une étrange cage dans mon corps.

Une étrange prison dégueulasse où le coeur s'ennuie et les entrailles pourrissent. Il y a d'étranges barreaux qui transpercent ma chair, compressent mes poumons et mon intestin se tortille autour. Et ma peau et mes yeux et mes cheveux ne sont pas pris dans cette cellule. Mon enveloppe est libre et ma carcasse est comme un oiseau.

Et les autres me voient comme cette masse évoluant sans peine, mais ils ne voient pas, ils ne sentent pas les chaines qui retiennent mon cerveau.

J'avance et je vis, souffrant et riant. Je fais ce qu'on me demande, ce que la société veut de moi et je ris des gens qui ont des rêves. Cynique prisonnier à l'apparence d'un affranchi. Je fais l'amour à des petites brunes, des petites blondes, elles me quittent, elles reviennent... Je travaille, me fatigue, me satisfais. Je suis le merveilleux homme intégré à la merveilleuse grille d'un merveilleuse monde en marche.

Mais l'étrange cage se resserre dans mon corps et je bois et je fume et je sniffe et je baise. A quand l'intraveineuse ? Il me semble qu'anesthésier mon corps fait s'altérer l'emprisonnement, il me semble que mon esprit s'échappe.

Tiraillé entre le besoin de sexe et le besoin de sang, je me dis alors ceci : je suis français. Je suis un citoyen modèle fidèle et pacifique. Et lorsque j'écris des choses qui me semblent insubordonnées à des codes, je suis interrompu par le téléphone, par un télévendeur. Lorsque je rêve dans des volutes de fumée à des lieux lointains, on sonne à ma porte pour me vendre un calendrier.

Où est la clef pour ouvrir cette putain de cage ? Comment sortir d'un corps qui erre dans une culture qui l'a intégré et digéré pour en faire un représentant de sa propre absurdité ?

Mes glandes lacrymales sont compressées, et l'espoir de voir mes yeux sécher se heurte à la bêtise, la lâcheté, la haine et l'ignorance.

Mes geôliers ce sont des gens. La population m'impose sa médiocrité pour que je le lui ressemble. Et c'est ça qui garde la porte de ma prison fermée.

Et je n'ai rien à leur opposer que ma voix et mon silence, mon encre et mon absence pour tenter de retrouver ma liberté. Mais physiquement je suis cerné, et qu'est-ce qu'une pensée ?

Il y a une flamme qui veut encore brûler dans ma gorge et je dois la protéger du souffle nauséabond libéré par le reste du monde.

J'ai devant moi la face hideuse du serein ascète et autour de moi le sourire ravi du dépravé.

Mais je me retiens je ne veux pas tomber d'un côté ou d'un autre. Je veux continuer à chercher jour après jour la lime pour scier les barreaux qui tiennent mes tripes. Tout ça est trop compliqué alors je vais me coucher. Peut-être un jour quelqu'un fera sauter le pénitencier.

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Incipits finissants (67)

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