Leçon de choses
C’est ici que commence le
règne des objets.
Les savates déambulent et
se planquent sous le lit. Pied droit déclare guerre d’indépendance à Pied
gauche. La tasse se déverse sur le sol, et la bouteille jaillit pour dessiner
des arabesques de sirop de cassis sur le lino. Joli. Glissant. Les ciseaux
mordent le dentifrice. Collant. Les poignées reculent infiniment, il y a un
labyrinthe entre chaque porte, et régulièrement, l’ascenseur passe du nord au
sud. Poire à sonnette se cache dans un arbre, hors d’atteinte. On ne peut plus
l’attraper sans escabeau. C’est bien gênant car les nuits sont longues, et le
lit se replie dans les plis de la couverture lorsqu’on a besoin de lui. L’étui
des lunettes de soleil est sur la plage des chevaux de bois, on pourra toujours
les mettre pour éteindre les néons en attendant le jour vrai. Le jour où on
pourra enfin dormir dans les bras de Fauteuil.
Les dents sortent de la
bouche et grignotent la faïence. En temps de grève, elles se cachent entre la
colle et l’affiche.
La nuit, un petit bout de
chaque personne sort de son enveloppe et joue à cache-tampon.
Si les cuillers
disparaissent dans la poche du personnel, on mangera des entremets au
chausse-pied.
Heureusement que la vie
nous a appris la guerre. On ne s’inclinera pas au jour du couronnement des
choses.
On subira en silence, dans
une muette réprobation, en profitant de chaque occasion pour donner du fil à
retordre à l’envahisseur.
On organisera la résistance.
Et à tous ceux qui
demanderont si la nuit a été bonne, on répondra :
« Faut pas se
plaindre, ma foi. »
Mieux vaut savoir faire
discrétion sur ses activités clandestines.
Extraits de "L'embarquée".
Extraits de "L'embarquée".
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