Thursday, March 23, 2023

Traction-brabant 67

La poésie est-elle une maladie honteuse ? Après pas mal d’hésitations, je crois que oui. Enfin, tout dépend de l’environnement dans lequel le poète est plongé. En effet, il est facile de prétendre le contraire quand on passe sa vie tout seul ou avec d’autres poètes ou artistes. Mais quand on vit aussi dans d’autres mondes, je ne vois pas pourquoi on casserait les pieds à ses semblables et néanmoins différents avec la poésie. 
Et pourquoi la poésie d'abord ? Parce que nous sommes poètes ? Et pourquoi vouloir imposer cette maladie à nos prochains ?
Là, je me trahis. Je pense qu'aimer la poésie n'est pas chose normale. Le problème c'est que la poésie a tendance à vite devenir une passion chevillée à l'âme. Parce qu'elle sert de vase d'expansion à une vie intérieure trop encombrante et qu'elle permet de mieux accepter le réel (en principe). Ce genre de choses difficiles à faire comprendre aux profanes.
En fin de compte, je n’ai pas posé la bonne question. La poésie c’est la honte, mais pas une maladie. Hé hé après tout, ne pourrait-on pas la comparer au sexe ? Vous vous imaginez en train de causer à vos collègues de travail de vos fantasmes sexuels, bien que tout le monde puisse en avoir ? Pas facile en tout cas, d’évoquer cela, à moins d’être immergé en « milieu spécialisé », comme pour la poésie.
Et d’ailleurs, en parler, c’est courir le risque de la réduire à peu de choses. A des mots agencés sur une feuille ? A une récitation qui se perd dans le vent ou le brouhaha ? Ne serait-ce pas le plus sûr moyen de s’en dégoûter, de la poésie ? Parce que finalement, d’un point de vue pratique, ce n’est que ça.
Et en plus, c’est pas avec la poésie que tu vas gagner du fric dans la vie, mon garçon ! Elle qui ne s’apparente pas davantage aux jolies choses, bien voyantes, créatrices de plaisir chez la plupart : fringues, voiture, déco. La poésie, c’est du jamais net, du fluctuant et du souvent grave, un sismographe de la cervelle. Alors, oui, j’ai peur d’en diminuer le pouvoir suggestif, rien qu’en l’évoquant. Paradoxalement, je n'ai jamais autant discuté de poésie avec d'autres personnes qu'aujourd'hui, au cours, par exemple, des soirées lecture que j'organise. J'essaye de me consoler quant à son utilité sociale en pensant aux recherches scientifiques récentes qui nous éclairent sur les pouvoirs du cerveau dans la genèse des sensations et leur transformation en bonheur agissant. Pourquoi pas avec des vers, en plus des verres ? On y arrive on y arrive... Quand la vie professionnelle ou l'ordinaire, est finie. 
P.M.

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Incipits finissants (67)

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