La vraie vie
La
vraie vie n’est ni la propriété ni la liberté ni la ponctualité. Ni la sécurité
sociale ni le système scolaire ni l’appareil judiciaire. Ni le PIB ni le niveau
d’instruction ni l’espérance de vie. Ni la politique ni la culture ni la
religion. Ni internet ni la télévision ni l’électricité.
La
vraie vie ne peut être ni définie ni encadrée ni réglementée ni contrôlée ni
prévue ni aménagée.
La
vraie vie est un souffle, un élan, un torrent. Un tsunami d’événements contre
lesquels le Conseil de sécurité de l’ONU, Daech et la bombe atomique ne peuvent
absolument rien.
La
vraie vie fait naître les nourrissons et pousser les fleurs, elle déplace les
nuages, inspire des mélodies aux uns et de l’amour aux autres, elle détruit
tout en un clin d’œil et reconstruit le double encore plus rapidement.
La
vraie vie ne s’arrête pas. Elle n’est pas à la mode. Elle n’a aucun diplôme ni
aucun papier d’identité, elle n’a ni nom, ni âge, ni statut social.
La
vraie vie fait rire et pleurer, elle donne faim et soif, elle fait couler le
sang dans les veines et clapoter les ruisseaux entre les rochers.
La
vraie vie est dans un sourire, dans un baiser, dans un échange sincère. Elle se
fout des codes, des titres, des règlements, des grands hommes et de l’histoire.
Elle se joue des frontières, des prisons, des clôtures et des contrats.
La vraie vie transforme les pires moments en meilleurs
souvenirs, elle provoque les rencontres et scelle les amitiés. Elle maintient
en vie les mourants et foudroie les plus vigoureux dans la force de l’âge.
La
vraie vie donne des frissons, des émotions, des picotements dans le ventre.
Elle n’attend pas que ce soit le bon moment pour faire ce qu’elle veut. Quand
elle a envie de changer le cours d’une vie, elle n’a qu’à claquer des doigts et
rien ni personne ne pourra rien y faire.
Coule,
avance, dévale la pente, toi, la vraie vie. Précipite-toi vers ta destination,
précipite-moi dans le sens que tu as choisi de choisir. Change d’avis mille
fois. Piétine-moi, écrase toutes mes tentatives de te nommer, de t’étudier, de
te faire connaître. Efface ma mémoire, saccage mon quotidien, fais de moi ce
que tu veux.
Fais-moi
comprendre encore des millions de fois que je n’existe pas, que Jean-Yves n’est
qu’un vêtement, une fleur bientôt fanée, une vague insignifiante qui finira
bien par s’échouer sur la plage, un jour ou l’autre. Fais-moi sentir que la
table, la pluie, l’écran en face de moi ne sont pas distincts de tout ce que je
crois pouvoir enfermer dans mon hypothétique individualité.
Balaye
mes certitudes. Déshonore-moi, fous-moi la honte à chaque fois que je
t’oublierai, à chaque fois que je te confondrai avec tout ce que tu animes,
toutes ces illusions qui prennent des faux airs d’importance capitale.
Sers-moi
un verre d’eau fraîche.
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