Lutter contre le temps qui
passe, c'est un enjeu capital, y compris lorsque l'on n'est pas poète.
À cet égard, je croyais avoir
trouvé la bonne combine, profitant d'une opportunité automnale. En effet, comme
chaque année, à la fin octobre, nous avions reçu l'ordre de reculer d'une heure
nos pendules. Du coup, j'en profitai pour me lever une heure plus tôt afin de
parvenir à finir ce que j'avais à faire.
C'est génial, ce changement
d'heure. Cela nous permet de jouer avec le temps comme nous le voulons. Par ce
biais, nous sommes les seuls maîtres à bord. À cette occasion, je réalisai que
les heures n'étaient pas seulement des fuseaux, mais également des jauges de
vie comme d'essence, dont l'on pouvait user sans modération.
Hélas, au bout de quelques
jours, le temps me rattrapa, et avec lui, son manque. Comme s'il s'agissait
d'une drogue prégnante, malgré son invisibilité.
Après avoir hésité quelques
instants, je résolus de retarder ma montre, disposant de nouveau d'une heure
psychologique de plus pour vaquer à mes occupations. En effet, l'activité
professionnelle indépendante que j'exerçais ne m'obligeait pas à vivre, pour
l'essentiel, au même rythme que nombre d'humains. Je n'avais pas d'autre
obligation que d'effectuer mon travail, et ce, à n'importe quelle heure du jour
ou de la nuit.
Au début, cela fonctionna
très bien. J'étais toujours en avance sur mon programme. Cependant, il fallait
prendre garde à ne pas oublier que l'horloge de mes congénères était une h + 1.
Et à cause de cette petite heure de plus où je me devais de rester les yeux
ouverts, j'avais l'impression de faire le grand écart.
À peine deux semaines plus
tard, ce qui devait m'arriver m'arriva : je m'endormis au beau milieu de
l'après-midi, ratant la signature d'un marché important, et me réveillant à une
heure qui m'était devenue étrangère. Le temps m'avait une fois de plus érodé.
Qu'à cela ne tienne ! Je décidai de reculer mon horloge d'une heure à chaque
fois que je me sentais en retard. Au bout d'un moment, je me retrouvai tout
seul sur une île déserte, mi-allumée, mi-éteinte, ne sachant plus comment
vivaient les autres hommes. Et c'est comme ça qu'un matin, je crus avoir deux
minutes d'avance sur le corbillard qui m'embarquait pour le paradis... En fait,
c'était juste le bus qui me remmenait au boulot.
P.M.
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