Sunday, February 14, 2021

Incipits finissants (72)

Lutter contre le temps qui passe, c'est un enjeu capital, y compris lorsque l'on n'est pas poète.
À cet égard, je croyais avoir trouvé la bonne combine, profitant d'une opportunité automnale. En effet, comme chaque année, à la fin octobre, nous avions reçu l'ordre de reculer d'une heure nos pendules. Du coup, j'en profitai pour me lever une heure plus tôt afin de parvenir à finir ce que j'avais à faire.
C'est génial, ce changement d'heure. Cela nous permet de jouer avec le temps comme nous le voulons. Par ce biais, nous sommes les seuls maîtres à bord. À cette occasion, je réalisai que les heures n'étaient pas seulement des fuseaux, mais également des jauges de vie comme d'essence, dont l'on pouvait user sans modération.
Hélas, au bout de quelques jours, le temps me rattrapa, et avec lui, son manque. Comme s'il s'agissait d'une drogue prégnante, malgré son invisibilité.
Après avoir hésité quelques instants, je résolus de retarder ma montre, disposant de nouveau d'une heure psychologique de plus pour vaquer à mes occupations. En effet, l'activité professionnelle indépendante que j'exerçais ne m'obligeait pas à vivre, pour l'essentiel, au même rythme que nombre d'humains. Je n'avais pas d'autre obligation que d'effectuer mon travail, et ce, à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit.
Au début, cela fonctionna très bien. J'étais toujours en avance sur mon programme. Cependant, il fallait prendre garde à ne pas oublier que l'horloge de mes congénères était une h + 1. Et à cause de cette petite heure de plus où je me devais de rester les yeux ouverts, j'avais l'impression de faire le grand écart.
À peine deux semaines plus tard, ce qui devait m'arriver m'arriva : je m'endormis au beau milieu de l'après-midi, ratant la signature d'un marché important, et me réveillant à une heure qui m'était devenue étrangère. Le temps m'avait une fois de plus érodé. Qu'à cela ne tienne ! Je décidai de reculer mon horloge d'une heure à chaque fois que je me sentais en retard. Au bout d'un moment, je me retrouvai tout seul sur une île déserte, mi-allumée, mi-éteinte, ne sachant plus comment vivaient les autres hommes. Et c'est comme ça qu'un matin, je crus avoir deux minutes d'avance sur le corbillard qui m'embarquait pour le paradis... En fait, c'était juste le bus qui me remmenait au boulot.  
P.M.

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C'est la fin de Traction-brabant

Tout est expliqué dans le document ci-après (cliquer sur l'image pour davantage de lisibilité) :