Voyage
Elle griffe les parois de coquille. Lentement, avec application – et rage. Elle cogne et ça se fissure. Elle passe une tête, un bras, pousse, dégage une épaule, hisse une jambe.
Elle est dehors. Tout est blanc, et noir. Tout est vide, et froid. Elle sent son cœur battre et ses poumons respirer – c'est bien assez.
Elle se retourne, voit la coquille vide et peste - elle sait qu'il ne faut jamais se retourner.
Elle décide. Elle décide d'avancer. Elle décide d'avancer dans le tout blanc, et noir, vide, et froid.
Un pas, un autre, une brise sur sa joue – l'air vit.
Elle entend sa respiration – régulière, assourdissante – et c'est tout.
Elle avance dans une matière gluante – comme de la neige, de la boue, sans l'humidité ni la couleur.
Elle doit se concentrer pour avancer, se concentre au maximum, pour éviter toutes les questions qui ne demandent qu'à affluer. Elle atteint une silhouette d'arbre, comme ombre chinoise, un vide dans l'espace. Au-delà, la plaine est pleine. De silhouettes sombres et lourdes. Courbées. Occupées. La brise à nouveau, sur sa joue, souffle. Elle marche vers les spectres – non, ce sont des êtres, hommes, femmes, enfants, sales et silencieux. Regards absents. Automatiques.
Elle cherche à croiser les yeux d'un, d'une autre. N'y parvient pas. Peut-être qu'ils ne la voient pas. Peut-être qu'elles l'évitent. Elle tente de poser sa main sur un bras, sa main glisse, le bras poursuit son mouvement comme si de rien.
Elle parle, crie, hurle et aucun son.
Le sol est devenu de la terre noire et dure. Le ciel blanc, ouate. Ses cris résonnent dans son ventre et pas plus loin.
Elle tente à nouveau, poser une main sur un bras, une épaule, une jambe, un visage, tout glisse, tout file comme l'eau riante d'un torrent entre les pierres, comme le vent entre les feuilles tendres du printemps.
Elle traverse cette assemblée de spectres vivants, d'êtres absents. Elle entend son cœur battre, elle écoute son cœur battre et envoyer du sang dans ses veines pour irriguer ses pieds, ses jambes, son tronc, ses bras, sa tête, ses organes vitaux, ses pensées bousculées. Tout est blanc et froid, tout est vide et noir, tous sont vivants et absents, et elle, continue à sentir, elle, continue à entendre et voir, elle, continue à goûter et toucher, elle, continue à ressentir, continue à marcher, à tenter, à crier.
À nouveau la brise tiède sur sa joue. Elle sourit et reprend son chemin.
Une flamme vive déchire le blanc. Immense.
Elle s'approche. C'est une plaie ouverte dans l'espace. Une bouche tordue et sanglante. Chaude. Muette.
À sa gauche, à sa droite, deux êtres spectres comme deux gardiens. Grands, maigres, vides.
Elle tente d'attirer leurs regards, qui se perdent dans les reflets rougeoyants. Pose un pied, libère son corps qui se met à tourner, tournoyer, bondir et s'enlacer. Elle danse.
Elle danse le silence et le vide.
Elle danse la vie et la peur.
Elle danse autour de la flamme comme aux temps premiers, comme on adore un dieu, comme on chasse le mal, comme on transcende la vie.
Elle s'arrête. Souffle. Les gardiens immobiles. Le paysage immobile. La flamme danse encore, elle.
Elle interroge le vide du regard. Et, lentement, s'avance.
Flamme muette, tiède, humide.
Elle s'avance encore. Se laisse envahir. Traverse. S'engloutit. Disparaît.
Elle tombe encore puis renaît – non, se réveille.
Il est jour et couleur.
Paysage aride et gris, et rouge, et minéral. Comme crachée d'un volcan. Ses pieds nus s'accrochent sur la roche. Sa main attrape une pierre pour la lancer – entendre le son. Ici du son.
Un souffle sur sa joue – compagnon de route.
Elle poursuit. Dévale. En bas, un village. Non, une maison, et une autre. Deux cabanes de pierre.
Elle frappe et on ouvre. Elle pense avoir trouvé le chemin des contes de fées. Sorcière, ou ogresse, ou les deux. Une femme grosse aux cheveux ficelles et aux dents rares. Qui la regarde, sourit-grimace, la fait entrer.
La femme-ogresse parle et regarde, la femme-sorcière rit de guingois et lui touche le bras.
Elle. S'assoit. Sourit. S'endort.
Il se passe tant de choses dans la vie du sommeil.
Cette nuit-là elle marche sur les étoiles et glisse sur une aurore boréale, se
griffe à une branche de genévrier accrochée à rien, saigne des gouttes de
rosée, s'enfonce dans le bleu de l'océan, préoccupée d'avoir oublié quelque
chose mais quoi.
Elle s'éveille, étonnée d'être là. Dehors le soleil brûle les rochers.
Et la femme-sorcière. Elle vient à ses côtés. Observe comme la femme plonge sa main dans les herbes tordues, laides, hargneuses, et en ressort une pousse tendre improbable. Ici, et là, puis là encore. Elle regarde la femme pêcher au milieu des crabes végétaux. La grosse silhouette penchée, tordue, assurée.
Lui tend une pousse qu'elle grignote, surprise, de la saveur acide, aigre, fraîche. À son tour elle plonge la main, fouille, trouve, arrache une pousse comme trésor révélé.
Ainsi passent. Les heures, les jours, les années. Le temps n'a plus cours, le temps n'existe plus depuis longtemps, qui parle encore du temps, c'est oublié, aboli, anéanti.
Elle reste et disparaît à nouveau.
Ailleurs, ailleurs encore.
Ailleurs, dans un espace neuf et absurde, vide, stupéfiant.
Elle griffe les parois de coquille. Lentement, avec application – et rage. Elle cogne et ça se fissure. Elle passe une tête, un bras, pousse, dégage une épaule, hisse une jambe.
Elle est dehors. Tout est blanc, et noir. Tout est vide, et froid. Elle sent son cœur battre et ses poumons respirer – c'est bien assez.
Elle se retourne, voit la coquille vide et peste - elle sait qu'il ne faut jamais se retourner.
Elle décide. Elle décide d'avancer. Elle décide d'avancer dans le tout blanc, et noir, vide, et froid.
Un pas, un autre, une brise sur sa joue – l'air vit.
Elle entend sa respiration – régulière, assourdissante – et c'est tout.
Elle avance dans une matière gluante – comme de la neige, de la boue, sans l'humidité ni la couleur.
Elle doit se concentrer pour avancer, se concentre au maximum, pour éviter toutes les questions qui ne demandent qu'à affluer. Elle atteint une silhouette d'arbre, comme ombre chinoise, un vide dans l'espace. Au-delà, la plaine est pleine. De silhouettes sombres et lourdes. Courbées. Occupées. La brise à nouveau, sur sa joue, souffle. Elle marche vers les spectres – non, ce sont des êtres, hommes, femmes, enfants, sales et silencieux. Regards absents. Automatiques.
Elle cherche à croiser les yeux d'un, d'une autre. N'y parvient pas. Peut-être qu'ils ne la voient pas. Peut-être qu'elles l'évitent. Elle tente de poser sa main sur un bras, sa main glisse, le bras poursuit son mouvement comme si de rien.
Elle parle, crie, hurle et aucun son.
Le sol est devenu de la terre noire et dure. Le ciel blanc, ouate. Ses cris résonnent dans son ventre et pas plus loin.
Elle tente à nouveau, poser une main sur un bras, une épaule, une jambe, un visage, tout glisse, tout file comme l'eau riante d'un torrent entre les pierres, comme le vent entre les feuilles tendres du printemps.
Elle traverse cette assemblée de spectres vivants, d'êtres absents. Elle entend son cœur battre, elle écoute son cœur battre et envoyer du sang dans ses veines pour irriguer ses pieds, ses jambes, son tronc, ses bras, sa tête, ses organes vitaux, ses pensées bousculées. Tout est blanc et froid, tout est vide et noir, tous sont vivants et absents, et elle, continue à sentir, elle, continue à entendre et voir, elle, continue à goûter et toucher, elle, continue à ressentir, continue à marcher, à tenter, à crier.
À nouveau la brise tiède sur sa joue. Elle sourit et reprend son chemin.
Elle s'approche. C'est une plaie ouverte dans l'espace. Une bouche tordue et sanglante. Chaude. Muette.
À sa gauche, à sa droite, deux êtres spectres comme deux gardiens. Grands, maigres, vides.
Elle tente d'attirer leurs regards, qui se perdent dans les reflets rougeoyants. Pose un pied, libère son corps qui se met à tourner, tournoyer, bondir et s'enlacer. Elle danse.
Elle danse le silence et le vide.
Elle danse la vie et la peur.
Elle danse autour de la flamme comme aux temps premiers, comme on adore un dieu, comme on chasse le mal, comme on transcende la vie.
Elle s'arrête. Souffle. Les gardiens immobiles. Le paysage immobile. La flamme danse encore, elle.
Elle interroge le vide du regard. Et, lentement, s'avance.
Flamme muette, tiède, humide.
Elle s'avance encore. Se laisse envahir. Traverse. S'engloutit. Disparaît.
Elle tombe encore puis renaît – non, se réveille.
Il est jour et couleur.
Paysage aride et gris, et rouge, et minéral. Comme crachée d'un volcan. Ses pieds nus s'accrochent sur la roche. Sa main attrape une pierre pour la lancer – entendre le son. Ici du son.
Un souffle sur sa joue – compagnon de route.
Elle poursuit. Dévale. En bas, un village. Non, une maison, et une autre. Deux cabanes de pierre.
Elle frappe et on ouvre. Elle pense avoir trouvé le chemin des contes de fées. Sorcière, ou ogresse, ou les deux. Une femme grosse aux cheveux ficelles et aux dents rares. Qui la regarde, sourit-grimace, la fait entrer.
La femme-ogresse parle et regarde, la femme-sorcière rit de guingois et lui touche le bras.
Elle. S'assoit. Sourit. S'endort.
Elle s'éveille, étonnée d'être là. Dehors le soleil brûle les rochers.
Et la femme-sorcière. Elle vient à ses côtés. Observe comme la femme plonge sa main dans les herbes tordues, laides, hargneuses, et en ressort une pousse tendre improbable. Ici, et là, puis là encore. Elle regarde la femme pêcher au milieu des crabes végétaux. La grosse silhouette penchée, tordue, assurée.
Lui tend une pousse qu'elle grignote, surprise, de la saveur acide, aigre, fraîche. À son tour elle plonge la main, fouille, trouve, arrache une pousse comme trésor révélé.
Ainsi passent. Les heures, les jours, les années. Le temps n'a plus cours, le temps n'existe plus depuis longtemps, qui parle encore du temps, c'est oublié, aboli, anéanti.
Elle reste et disparaît à nouveau.
Ailleurs, ailleurs encore.
Ailleurs, dans un espace neuf et absurde, vide, stupéfiant.
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