Wednesday, October 03, 2018

Traction-brabant 84


C'est l'histoire d'un mécanicien garagiste qui, au début, avait besoin de réparer les véhicules avant de les revendre. Il a donc acheté un atelier tout équipé. Devant, il y avait un parking d’exposition sur lequel étaient garées les occasions du moment. Normal, me direz-vous. Mais ça c’était avant.

Après quelques années de pratique, notre garagiste s’est fait revendeur exclusivement. Il a d’abord fermé le garage, ayant découvert qu’il pouvait gagner plus d’argent en sous-traitant la réparation (plus de cambouis sur les mains) ou en ne réparant pas les bagnoles. Il garda toutefois le parking d’exposition.

Puis notre revendeur se rendit compte qu’il pouvait encore augmenter sa marge en supprimant le parking et ce, grâce… à Internet !
Il n’avait plus qu’à mettre en vente les véhicules sur Le Bon Coin et à attendre que ça morde dans son immeuble vide, qu’il revendit ensuite.

Avec son ordinateur et son téléphone portables, le voici connecté H24 pour les transactions, y compris quand il dort à l’hôtel, en déplacement pour le convoyage de caisses. Il a même embauché des sbires qui font le job à sa place, pendant qu’il reste à la maison en pyjama, dirigeant à distance les mouvements de fonds.

Eh bien, en poésie, c’est idem, sauf que le bénéfice c’est de la reconnaissance.

Au début, j’écrivais à la main, potassant les traités de versification. J’ai gagné, à cette occasion, deux trois concours de jeux floraux.

Puis j’ai laissé tomber les rimes, écrivant des poèmes en vers libres que j’envoyais à des revues. J’ai aussi édité pas mal de recueils de poésie, chez de petits éditeurs, sans que ce terme soit péjoratif. C’était apparemment le bon créneau, sauf que je n’étais pas lu. Alors, il y a eu Internet. J’ai créé mes propres blogs. Plus de frais postaux et autant de lecteurs. D’abord, mes blogs ont été visités, puis de moins en moins, puis plus du tout. J’ai donc laissé pousser l’herbe à l’intérieur et suis allé voir du côté des réseaux sociaux. Facebook en tête. Et là, c’est carrément le pied. J’ai pu mettre en ligne un poème tous les jours, sans plus jamais me servir d’un stylo. Et au bout d’un moment, j’ai cessé d’écrire des poèmes. Depuis, je tague et tweete tout ce qui me passe par la tête. Constipation du matin, diarrhée du soir. Et je reçois des dizaines de like. 

Mon rêve d’un public instantané s’est réalisé. Les gens lisent ou ne lisent-ils pas ce que j’ai écrit ? Pas grave, c’est n’importe quoi, de toute façon. Ça, c’est vous, c’est moi, c’est nous tous, quoi !   

P.M.

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