Thursday, March 26, 2020

De Bastien Godard (extrait de T-B 85)


L'ÉCRIVAIN ET LA PLAGE


« Je » s'adresse à « toi »

L'écrivain sur le bateau, le cœur sur la plage.
(Et sur les côtes blanches, le bruit d'un sablier)

Les mots le pont mais l'écrivain trop loin
Trop de vent dans les yeux pour
Voir
Les mouettes ? Petits nuages ;
Gros nuages, cils qui coulent de gris
La nuit, le jour
C'est le même bleu qui se teinte.
Les quais, sauvages
Les cliquetis fantômes
Les crustacés qui s'empourprent
Le cœur boum boum et les vagues
Et les vagues c'est infini pour un petit cœur
Qui palpite entre les trous de crabes
Et le pont est loin
C'est joli les vagues, ça lèche le cœur, ça l'embrasse
Ça l'écume dans le sable,
Mais sans l'écrivain
– L'écrivain ! Regard vide voyage
Navigue statique, statue de proue
Tendu, dévoué vers. –
Ça pique, ce sel.

Les mots : le pont qui grince, relevé
Les yeux sans mains : là
Les mains sans rien : partir
Ça va ça vient
Ça bat, ça bat

Ressentir, c'est voir.
Mais eux se quittent, oui se quittent
Ne font que ça.
– L'un ressent trop sans pouvoir
L'autre peut tout sans le savoir –
La collusion, l'hébétude des souffles
Des gestes, des dérives
Par les chocs
Trop proches, de l'effrayante
Fusion d'un amour qui se délite.

S'étire l'horizon, depuis leurs observatoires
Les silences, les coquillages
– Océaniques les silences –
Loin le pont, le large, que quitte le pavillon
En dit long ce départ :
Ces pleurs sur un collier de dents
– Un sourire douleur mais sourire –
Car secrètement nostalgiques
Et heureux de l'être.

Ils n'attendent que le retour
Sur le pont enfin se reconnaître
Traduire ensemble ces rêves de respirations,
De la langue étudiée des signes de l'autre.
Mais ce pont – oh le retour toujours
Leur joie se heurte, cette joie ne compte
Non, ils ne comptent plus tout ça :
Les grains, le sablier, les soleils, les étoiles
Plus rien ne compte.
Impuissants lorsque le pont s'abaisse
Et que leurs barrières s'indomptent.

Le voyage et l'amour
Le cœur et les cris,
Chaque fois un peu mieux
Mais chaque fois un peu trop.

J'écris n'ayant jamais su m'exprimer.
Les mots sont un entre-deux qui
– Instable endroit de passage –
Ne touche que du bord la plage,
Est trop fragile pour la mer amour
Ne comprend, ne ressent, ne conçoit
Qu'en parcelles fuyantes.
C'est comme ça,
Oui, à peur près, comme ça.
Ça me bouleverse.
Sans aucune certitude
Autre que : les Seuls forment un cœur
Et c'est pour ça qu'on corrige, qu'on rature
Qu'on encre
Qu'on enlève, en rajoute
Améliore,
Que je peux y passer là des heures
Et là une vie entière.

Tout le problème est là car
La sincérité, les houles : dur d'en douter,
Les couchers et levers de sommeil, aussi.
Tout commence par une histoire.
Et ce problème de mot est vieux comme l'Histoire de l'Humanité :
Comment transcrire une réalité avec si peu de bagages ?
Là-dessus, l'écrivain voyage en quête de réponse
Le cœur, lui, reste là, te regarde (n'aie crainte il est tendre)
Il se fait miroir
Et derrière ton reflet,
Il y a l'infini des vagues.

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