Quand je pense aujourd’hui à
ma vie de poète et que je compte tout ce que j’ai écrit, je me dis : bon sang, comment
y suis-je parvenu ? Il y a du temps qui semble manquer dans cette
équation. Je n’ai pas rêvé, hélas. Pourtant, j’ai toujours écrit dans
l’entre-deux. L’entre deux portes, l’entre deux cafés, l’entre deux
demi-journées, l’entre deux corvées, l’entre-deux escapades. Toujours à voler
un peu de temps à son rouleau compresseur, toujours à disparaître quelques
minutes pour noircir du papier comme un fou furieux, avant de rejoindre le
cours de mes émissions normales.
Par exemple, je ne sais pas
ce que c’est que me retirer de la société pendant un mois pour écrire (sauf une
fois, lorsque j’ai été opéré). Ça n’existe pas dans ma vie. Ça ne devrait pas
exister avant longtemps, ou alors, il y aura un problème.
Bien sûr, c’est usant.
C’est même rageant, car forcément, comment voulez-vous que je sois certain
d’avoir achevé un ensemble qui tienne la route ?
Ce qui me bouffe,
précisément, c’est de me dire que si je ne m’étais pas débrouillé comme ça,
jamais je n’aurais réussi à publier, ne serait-ce qu’un recueil de textes disparates.
Et puis, en même temps, ce
n’est que de la poésie. Ou à peu près. Alors, ce n’est pas grave. Je préfère, à
tout prendre, être dans l’action, au moins encore pendant un certain temps,
afin d’avoir quelque chose à dire.
Bien sûr, mes poèmes ne sont
pas sans défauts. Celles et ceux qui auraient un peu de temps à perdre à les
décrypter, y repéreraient des erreurs, incohérences, reprises, problèmes de
soudure. Ceci dit, ils passeraient plus de temps à les analyser que j’en ai mis
à les écrire ! C’est ça qui est le plus drôle ! Et qu’est-ce que ça
me casserait les pieds de devoir corriger ensuite mes textes comme s’il
s’agissait de devoirs d’école !…
En plus, quand je lis une
majorité de choses publiées par les gens qui ont le temps d’écrire, ça me rassure !
Car, je sens très vite que c’est de la poésie de glandeur.
En effet, quand on enlève
tout ce qui est recopié du carnet de notes (au lieu d’être imaginé, comme quand
on n’a pas le temps !), ainsi que les références littéraires explicites
qui émaillent ces poèmes, je constate qu’il ne reste pas grand-chose de vivant
à l’arrivée. Et je ne peux m’empêcher de penser : c’est de la poésie super
bien fichue qui aurait dû ne pas être publiée. Du coup, je me console en
écrivant de la poésie pas forcément publiable, à cause de toutes ses ratures
qui ne sont pas corrigées.
P.M.
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