Par la magie des évènements, la vie avait changé en
profondeur. Les rues étaient devenues calmes. On n’entendait plus le bruit des
moteurs. Il n’y avait plus d’embouteillages. Pour la première fois depuis
toujours, ce n’était pas la guerre, mais le couvre-feu. Le corps se réveillait
reposé. Le monde d’avant était mort. On ne risquait pas de se faire écraser en
traversant la route. Les trottoirs nous appartenaient. On ne se marchait plus
sur les pieds.
Du coup, le corps ralentissait et le chant des oiseaux,
auquel on ne prêtait guère attention, d’habitude, redevenait plus net. D’ailleurs,
les oiseaux descendaient presque becqueter à nos pieds. Même si la pollution
était, la plupart du temps, invisible, sauf en cas de pot d’échappement bouché,
de passage dans un tunnel, etc., les bronches, cette fois-ci, se dégageaient. Était-ce juste un effet psychologique ?
Non, pas. La pollution avait diminué. La différence avec
le monde d’avant se vérifiait. Ce dernier était mort, à présent. Il fallait s’imprégner
en profondeur de ces nouvelles sensations pour l’enterrer, l’ancien monde. Il
suffisait de cela, en théorie.
Parfois, le corps se sentait encore plus seul
qu’auparavant. Mais c’était juste un réflexe à prendre. Non, le passé ne
reviendrait pas.
Seulement, voilà, il y avait les sous, ou plutôt, le
manque de sous pour beaucoup et le trop plein de sous pour quelques-uns. Était-on
si certain que le monde de demain ne serait pas pareil au monde d’avant ?
Alors, comme à regrets, afin de renflouer les
trésoreries, on recommença à produire du bruit de chantiers, à débrider les
pots d’échappement hors du garage. Sauf que la machine était ankylosée.
Pourtant, on ne pouvait pas rester comme ça pendant dix
ans, le cul entre deux chaises. Soit on arrêtait tout, soit on repartait, car
il y avait trop de gêne à demeurer entre deux états, à tout le temps hésiter sur
la conduite à tenir, comme sur les gestes barrière à effectuer. Et puis, qu’importe,
la vitesse en bagnole, ça enivre. Petit à petit, le chant des oiseaux fut de
nouveau recouvert par le vrombissement des moteurs. Le retour au passé fut
progressif pour ne pas trop perdre l’être humain. Enfin, la pollution reprit le
dessus, dans son nuage, que l’on oublia vite.
Le monde d’après ressemblait comme deux gouttes de pluie
acide au monde d’avant. À moins que l’on tente le jeu des sept différences ?
P.M.
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