Sunday, December 11, 2022

De Rémi Letourneur (extrait de T-B 106)

Vagabondage
 
L’eau coule, ondule de nuit parmi les herbes hautes - réglisse en plants qu’une lune maraudeuse polisse. L’eau coule, glisse ; elle coiffe au cœur de cette chevelure des raies d’absence pour y visser une larme - trille douce et claire. C’est une sérénade en écho qui s’étend au-dessus de la plaine. Et l’eau coule, visse ; et l’eau stagne et s’allonge - flaques pour bains de nuit. Le dos voûté au sol - en pleurs - , les herbes ont renversé leurs corps - depuis l’implant jusqu’à la pointe - à ce bain noir ; quelques-unes de leurs langues élastiques y lapent, secrètement. Langues d’herbes, rivière bordée d’implants : c’est toute une chevelure qui s’anime - souple - ; c’est toute une chevelure qui se déforme et qui s’oublie dans l’écho mat de la nuit pluvieuse. Qui se déforme et qui s’oublie dans l’écho mat de la nuit pluvieuse.
 
La lune a laissé faire.
 
J’aurai déambulé cette nuit. Depuis les collines ébouriffées, j’aurai déambulé en quête d’un moment d’absence. Ici, l’astre a déjà jeté l’éponge - en rayons d’argent pur. Et sous ses néons opalins, les raies scintillent. Je marche - encore. Dans mon dos, les herbes aux bains de pieds chantent des lieder pour vagabond - déglutitions épaisses et bien rythmées. En bas, la pluie accompagne l’ensemble, et l’harmonie englobe la plaine - substance unique - ; je m’y ancre - justement -, à cette œuvre pleinement exécutée. Mais plus haut, la pluie mène des géants de pastel vers la lune - direction : la guerre -, et plus haut encore, les géants implosent. Alors, peu à peu, le ciel se barricade en traits de feutre, et l’astre disloqué y flotte - brouillures au loin - comme un vieux souvenir.
 
La lune s’est laissé faire.
 
Les pointillés blanchâtres flottent encore. Ni crachats, ni débris de l’épave stellaire, ils flottent et portent la marque d’une époque étrangère. D’une époque étrangère au temps. Je les regarde ; d’en haut, ils bavent au dos des herbes - au dos voûté ; ils bavent au cœur des raies imberbes ; ils en pigmentent les flaques. Un ruisseau né s’en coule, traîne à son corps des graines argent : il faut s’y installer. S’installer aux clairières nouvelles - nues et larmées. S’installer dans l’absence des plaines et de la nuit. Là où, sorti du temps, il n’y a rien à faire. Rien qui ne puisse se faire.
Je suis assis maintenant, sur le corps mou de la terre, bordé par sa ceinture liquide. Je n’ai plus de route. Plus de lois. Seul, je respire - sans y penser.
 
Et la lune s’est éteinte.
Je suis sorti. Sorti de moi. Mais, de me voir seul au milieu des raies, j’ai été pris de vertige. Vertige de matière vide des pieds jusqu’au menton. Vertige d’une scène sans lueur. Vertige d’un chemin sans route - inconcevable. Et ce vide - si profond qu’il en éteint la profondeur - m’a ramené en corps : aux marges du monde, j’ai caressé - dans un frisson - les limites de la conscience. Combien de temps ai-je passé loin de moi ? Ce n’est pas une question. Le retour à la plaine, le retour à ses larmes, le retour à ces longues respirations nocturnes n’est pas un choix. En brouillures sous le ciel éclaté, j’ai voulu embrasser l’univers en désordre - impossible. Retrouver l’harmonie pour en laper chaque goutte ; reconstruire le tableau pour y vagabonder - pleinement. J’attends toujours la lune.
 
Elle ne reviendra pas.
 
Il suffira qu’un vent passe ses doigts dans ces cheveux sans tête pour que les raies s’effacent ; que la lune flotte sur ces collines pour en repeindre les pores ; que la pluie s’interrompe pour que leurs tapis sèchent. Mais je ne peux plus attendre.

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C'est la fin de Traction-brabant

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