Friday, November 21, 2008

De Murièle Modely (extrait de T-B 41)

Cela faisait longtemps que je n'étais pas allée au café seule
je veux dire longtemps que je ne m'étais pas accoudée à un comptoir
je veux dire qu'il me reste en tête quelques vieux clichés aussi épais
que les sourcils froncés de mon père
je veux dire que pour mon père une fille
la sienne, ça ne va pas seule au café

bon, je vais avoir quarante ans, je ne suis plus une fille
alors j'ai poussé la porte et posé mes fesses beaucoup moins vives
beaucoup plus molles sur le tabouret violet près du bar

ah putain ces bruits...
le choc des cuillères, le râle du percolateur, les jets de vapeur
c'est doux comme musique, ça picote les rides
le rouge colombien, ça dilate les poumons
et me revoilà vierge et sacrément liquide
les yeux en maraudage sur les bras de cette fille
qui passe une éponge sale sur les miettes de sucre
elle fait sonner sa caisse, cliqueter quelques pièces
elle sent bon le tabac, une odeur de maïs
une voix rauque, un rire gras

cela faisait longtemps que je n'avais pas offert mon corps
mon cerveau mes yeux aux accords convenus
du café microscope
plus jeune je transgressais
(l'interdit de papa)
et j'avalais sans soif les filles
les gars la vie minuscule
(j'aimais pas le kawa)
j'avais le temps à perdre
et les mots à semer

mais là raide seule plantée
sur mes (presque) quarante balais
la mousse du café
sur mes lèvres taiseuses
je peine

2 comments:

Murièle Camac said...

J'aime BEAUCOUP.
En plus j'ai un peu l'impression que c'est moi qui l'ai écrit, ce poème: je suis une fille, je vais avoir 40 ans, mon père a des sourcils épais et mon éducation m'a longtemps fait hésiter à pousser la porte des cafés. En plus je m'appelle Murièle !!
Mais même sans tout ça, j'aime BEAUCOUP.

Murièle Modély said...

merci : j'ai voulu vous repondre sur votre blog, mais n'ai pas pu enregistrer mon commentaire
alors ici, encore merci

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