Cela
fait plusieurs mois que la poésie a officiellement disparu. De prime abord, on
peut dater avec certitude sa mort du jour de celle du dernier poète. De
nombreuses statistiques ont été effectuées à ce sujet, comme si la survie de la
poésie pouvait dépendre de quelques terriens perdus dans le ciel. Mais en fait,
nous venons d’avoir la révélation que la poésie était morte depuis bien
longtemps auparavant.
Il
y a plus d’un siècle, lors de la décolonisation atmosphérique, les institutions
poétiques matérielles ont disparu en même temps que d’autres bâtiments
plus prestigieux : maisons de la poésie, fonds documentaires, enfin, moins de
vingt cinq ans plus tard, dernières bibliothèques virtuelles.
Il
n’y a donc plus de traces écrites de la poésie. Et pas davantage de flux
poétique qui ait survécu à cette hécatombe silencieuse. Alors oui, le dernier
poète importé du sol ânonnait quelques strophes de sa composition. Mais comme
elles étaient très mauvaises, à présent qu’il s’est tu, nous sommes soulagés.
D’ailleurs,
l’argent qui n’était pas destiné à maintenir sous perfusion la poésie a servi à
l’édification hors sol de nouveaux espaces éclairés d’une richesse combinatoire
telle que les voir simultanément nous rendrait aveugles. La seule inquiétude
est de constater que les embouteillages se multiplient au ciel comme sur la
terre, un siècle en arrière, avant que la planète n’ait été recouverte de
ferrailles en ville. Il est bien des espaces de plus en plus rares qui restent
dans le noir et bénéficient d’une végétation luxuriante, étant rattachés à la
surface du globe. Hélas, plus personne n’ose s’aventurer aussi bas et surtout
en revenir, en s’aidant de ces prétendues lianes d’une solidité à toute épreuve.
L’essentiel pour nous est que les guerres aient été abolies lors de la
colonisation du ciel. Nous nous situons désormais dans tous les sens du terme,
au dessus de cela. Cependant, voilà que nous semblons tristes et désolés de
reconnaître que l’effacement d’un ultime flux de poésie a été détecté par
hasard, sur l’écran d’un capteur d’imagination collective, en fin d’algorithme.
Après cette découverte, il nous a fallu encore du temps avant de comprendre que
nous étions devenus la poésie, plus personne ne parvenant à décrire cet état.
Il faudrait sortir de ce monde, et c’est impossible. Nous sommes emprisonnés
pour l’éternité. Ne devrions-nous pas souhaiter que l’un de ces singes resté
sur terre ait le moyen de sauter assez haut pour se saisir de nous et
crever cette maudite bulle de lyrisme ?
P.M.
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