Ami poète, quand tu commenceras à toucher ta bille, quand tu penseras avoir compris les rouages de l'inspiration, que tu seras parvenu,
aux yeux de quelques personnes, à exprimer par écrit une émotion, tu toucheras
la médaille de ta récompense et décideras de ralentir le rythme, parce que
c'est bien mérité.
Tu t’assoiras dans un confortable sofa rouge, style art
nouveau. Tu boiras de meilleurs alcools, tu mangeras mieux et moins (pas de
viandes, à cause de la couleur du sang), tu sentiras alors comme les fleurs
n'ont pas toutes un parfum identique et tu t'attarderas à en saisir les
moindres nuances. Tu choisiras celle-ci plutôt que celle-là. Tu te déplaceras
en permanence dans un magasin de luxe sans t'en rendre compte.
Et tu tomberas ainsi dans le piège le pire, celui de la
littérature, de l'art pour l'art.
Tu détesteras les outrances de ces jeunes apprentis
sorciers qui cherchent à forcer le trait, tu te sentiras plus malin qu'eux, tu
n'achèteras plus leurs écrits que tu trouveras peu intéressants. Car tu auras
tout compris du bon dosage. Tu recycleras en mots la moindre de tes émotions.
Cependant, même, lorsque par hasard, l'émotion sera forte, tu iras la chercher
dans les livres.
Tu te claquemureras pour ne plus voir la réalité en face.
Tu éviteras comme la peste les duels trop voyants. Il faut dire que des prix et
d'autres récompenses tu obtiendras de plus en plus. Tu ne sortiras plus du même
tambour de la même machine, ta langue sera usée, sauf que tu y croiras dur
comme fer.
Les suicides deviendront des fantaisies littéraires, la
guerre, la pauvreté et la misère ne seront plus que des jeux vidéo destinés au
quatrième âge, des jeux doux, car dénués de cris.
Au pire, tu éprouveras un ennui très vague, mais là
encore, il s'agira du spleen de Baudelaire. Après tout, même les fosses
communes sont remplies de la divine musique de Mozart. Il n'y a pas de quoi
s'inquiéter.
Le dégagement sera ton engagement. Tu auras des
rhumatismes plein la tête, sans la gravité d'un cancer. Tes poèmes seront
équilibrés, ta clientèle fidèle. Tu écriras pour les centres piétonniers des
grandes villes d'Occident. Tu écriras pour les chiens-chiens de leurs mémères,
tu mettras le nez dehors comme sur des roulettes, afin de respirer les feuilles
mortes qui s'envolent à la pelle. Tes poèmes sentiront la camomille des
(r)assis.
Tu deviendras vite un vieux con de poète, cherchant à
sauvegarder aux dépens des autres tes prébendes. Et là, je te rassure. Tes
performances ne seront que des béquilles de jeunesse et tes points
d'exclamation des vocalises de maisons de retraite(ment).
P.M.
P.M.
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