On
dit que l’enfance est précieuse. Eh bien, moi, je suis pas d’accord. Je ne sais
pas où vous êtes allés chercher tout ça. Pour moi, c’est un espace restreint,
dans lequel la liberté n’existe pas. Un monde que l’on ne maîtrise pas, tout flou,
et rempli de dangers insoupçonnables. L’impression d’être enfermé, non particulièrement
à cause des parents, ou d’autres personnes, mais parce qu’il y a plein de
choses que l’on ne comprend pas, et que l’on contrôle encore moins. L’impression
que le prochain pas se fera dans le vide. Et puis aussi, un ennui diffus, trop
de vacance. On ne bosse pas quand on est un enfant, alors à quoi on sert ?
On est obligé d’écouter ce que disent les autres et c‘est loin d’être toujours
très intéressant. Et puis, quand l’ennui disparaît, ça devient plus atroce. On
se retrouve contraint forcé d’aller à l’école. Le premier enfer de la première
tôle, avant l’armée, puis le travail pour la paye, avant qui sait, sans doute,
la maison de retraite. Je me souviens nettement de ce premier jour d‘absence de
liberté déclarée, de cette injonction qu’il y aurait à s’amuser de quelque
chose de pas drôle. Un cauchemar éveillé, l’idée qu’il faut sortir de chez soi
pour aller quelque part où c’est nul.
Heureusement,
plus tard, les choses se sont éclaircies, sauf qu’il a fallu, avant, sauter pas
mal d’obstacles. Le goût de la vie m’est venu quand j’ai obtenu mon permis de
conduire et que j’ai suivi des études supérieures, surtout des cours facultatifs.
Dans tous les cas, la liberté de choisir ses supplices. C’est bien ça le
progrès qui saute aux yeux. Ainsi, je comprends mieux ce monde, bien qu’il me révolte.
J’ai aussi l’impression, même si c’est faux, que je peux m’extraire assez vite
de ses obligations. Tout le contraire de l’enfance…
Et
pourtant, plus je m’en éloigne et plus les impressions nostalgiques reviennent
en force : le père Noël qui apporte les cadeaux dans la pièce d’à côté, la
neige dehors et la crèche de Noël avec tous ces petits personnages qui ont une
histoire, les soirs où les plombs sautent et où l’on s’éclaire à la bougie, les
tranches des vieux livres qui sentent le renfermé, les collections des
merveilles du monde dans le programme Télé, les albums de Tintin, Blanche-Neige
sans les sept nains, les lutins de Flosco, une traction-avant à visiter et à
dessiner ensuite, l’île aux trente cercueils, la cour d‘école à dépaver, les
bêtes à bon dieu à compter au pied d’un tilleul, les asperges à repérer, les
champignons idem, au fond des bois, Mon premier et dernier bolet Satan, la
première côte à monter à vélo.
Contre
toute attente, peut-être qu’il y a des bonnes choses à retenir de l’enfance…
P.M.
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