J’aime beaucoup la littérature de la fin du 18ème
siècle et de tout le 19ème siècle. C’est pas comme aujourd’hui. On
est jamais seuls avec ces livres, y compris lorsque le héros à la fin du roman
se fait écarteler. En effet, un grand frère vous accompagne, qui s’appelle le
narrateur. Ce n’est pas un personnage de chair. Son seul pouvoir c’est celui du
verbe. Pas le verbe de la plus grande gueule. Le pouvoir du verbe écrit. On le
sent. Le narrateur croit en sa phrase, même s’il ne croit qu’en elle. Et ses
quatre roues sont bien posées en équilibre sur le sol.
Lire ces œuvres qui correspondent grosso modo à
l’époque du romantisme, c’est se faire conduire en Cadillac, dans un pays qui
n’est pas l’Amérique de nos zones commerciales. Peu importe que le narrateur
raconte parfois des bêtises, il vous emporte avec lui. Et on se laisse faire.
Bien sûr, vous attendez que je vous donne des exemples
de ces auteurs, pour pouvoir me contrer, me dire que je mets tout le monde dans
le même sac, alors qu’il ne faut pas mélanger les torchons avec les serviettes.
Or, à mes yeux, c’est la tendance générale qui compte, pas le détail pour
universitaire. Je peux vous citer pêle-mêle Jean-Jacques Rousseau,
Chateaubriand, Melville, Victor Hugo, Balzac, Jules Verne, Dostoïevski, ou des
écrivains davantage oubliés, comme Jules Renan, avec sa « Vie de
Jésus ».
Aujourd’hui, c’est différent. On dézingue à bout
portant ses héros. On les laisse se débrouiller dans l’affliction. Ce qui fait
qu’au pire, le lecteur s’ennuie, car toute vie, comme tout souffle, veulent
être supprimés. Certes, il peut prendre du plaisir à lire, mais en définitive,
le voilà qui se retrouve abandonné de tous dans cette architecture de papier,
livré, si je puis dire, à une intimité desséchante. Et il ne souhaite plus
qu’une chose : tuer ce personnage qui se vante d’être un anti-héros.
C’est certain qu’un jour, on en reviendra de tout ça,
à moins que la littérature de genre (policier, science-fiction) n’ait pas perdu
son narrateur en cours de route. On regagnera un semblant de stabilité dans la
lecture. Ça n’empêchera pas les livres tristes d’exister, ça n’interdira pas
les catastrophes, sauf qu’à la fin des fins, il y aura toujours deux personnes
qui resteront debout : le lecteur et le narrateur, ce bon vieux copain qui
jamais ne vous trahit.P.M.
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